Plan du sujet : L’impulsivité est-elle la marque de la liberté ?
Plan des 3 parties du devoir
I) La liberté impulsivement : la liberté des désirs
- La première idée comme liberté spontanée 1. Analyse de l’impulsivité comme première réaction. 2. Réflexion sur la spontanéité comme expression initiale de la liberté. 3. Illustration avec des exemples concrets.
- Les limites de cette conception 1. Examen des contradictions et des conséquences de l’impulsivité. 2. Le risque de l’absence de réflexion et de contrôle. 3. Les conséquences sociales et morales de cette approche.
- II) La liberté réfléchie et maîtrisée : la liberté de la raison
- La nécessité de la réflexion et de la maîtrise de soi 1. Importance de la conscience et du contrôle des désirs. 2. Arguments en faveur de la maîtrise de soi comme marque de la véritable liberté. 3. Exemples de philosophes (Kant, Descartes, Platon contre Calliclès) qui soutiennent cette perspective.
- Les défis et les limites de la maîtrise de soi 1. L’effort nécessaire pour atteindre la maîtrise de soi. 2. Les débats sur la nature humaine et la conciliation entre désirs et raison. 3. Les dilemmes moraux liés à la maîtrise de soi.
Montrer que le problème ne réside pas dans une définition de la liberté de faire (action, de faire ce qui plait et suivre l’impulsion de nos désirs) mais dans une redéfinition de la liberté comme liberté de l’esprit ou du libre arbitre (liberté de la volonté).
III. La liberté n’est pas un fait mais une conquête : l’élévation de l’esprit (liberté d’esprit)
- Le travail intérieur comme condition de la liberté 1. L’importance de la connaissance de soi et de la conscience des passions. 2. Les enseignements de philosophes (Descartes, Malebranche) sur ce travail intérieur (voir première dissertation). 3. La nécessité de se détacher du sensible et de l’impulsivité chez Platon.
- Les enjeux de la libération de soi 1. L’accès à la liberté par la réflexion et la maîtrise de soi. 2. La réalisation de la véritable liberté comme un idéal difficile à atteindre. 3. La notion que la liberté n’est pas un état, mais une conquête personnelle (Kant).
Sujet : L’impulsivité est-elle la marque de la liberté ?
« La première impression est toujours la bonne », dit-on souvent, mais cela s’appliquerait-il également à la liberté ? La liberté m’échapperait-elle pas à cette règle ? Tandis que des personnes se battent encore aujourd’hui pour acquérir ce bien précieux, d’autres tentent de trouver ce qu’elle est, sans oublier ceux qui naissent et vivent dans cette liberté sans jamais faire l’effort de comprendre ce qu’elle représente et vivent dans l’ignorance. Autrement dit, « l’impulsivité est-elle la marque de la liberté ? »
Que représente cette liberté, se résume-t-elle à des pulsions, des envies, un besoin primitif ? La liberté se résume-t-elle à l’accomplissement direct de nos désirs ou à la maîtrise de ceux-ci ou alors n’est-elle pas plutôt le cheminement, l’effort lui-même par lequel on tente de se libérer ?
Dans un premier temps, nous verrons la liberté de faire ce que l’on désire. Et, dans un deuxième temps, nous verrons en cette impulsivité une sorte d’emprise, et ainsi voir la liberté comme une sorte de contrôle, de maîtrise de notre volonté. Pour finir, nous comprendrons que l’impulsivité n’est en réalité qu’une liberté superficielle, et que la liberté se trouve du côté d’une réflexion plus profonde relative à la maîtrise des désirs.
La liberté impulsivement, être libre, serait donc dans un premier mouvement liée à la liberté de mon corps. Elle se résume dans un élan intuitif, une impulsion provenant de mon intériorité. Nous parlons ici de nos désirs, de la liberté de faire ce que nous désirons, de répondre à ce que notre corps réclame, de la puissance que nous devons lui accorder : Leibniz caractérise cette liberté de faire dans les Nouveaux essais sur l’entendement humain. Cependant, cette apparente simplicité peut s’avérer trompeuse, car elle soulève des questions fondamentales sur la nature de la liberté et de l’impulsivité.
Les contraintes extérieures, les normes sociales, voire les influences parentales, semblent autant d’obstacles à l’accomplissement de ce bien-être libertaire, de nos désirs profonds. Tout empêchement de la réalisation de nos désirs est vécu comme une altération de notre liberté, voire comme une forme de captivité. Pourquoi devrions-nous respecter les règles ou les valeurs préétablies quand nos désirs sont là, au fond de nous, appelant leur réalisation ? Pourquoi devrions-nous nous priver de la possibilité de trouver et de conserver un portefeuille rempli de billets si cela répond à un besoin immédiat ? Après tout, ne dit-on pas que nous n’avons qu’une seule vie, et pourquoi ne pas suivre nos envies et profiter pleinement de l’existence ? Que signifie alors le fameux « carpe diem » d’Epicure si nous devons construire notre vie dans des contraintes ? La vie, du point de vue impulsif, est dictée par nos désirs spontanés : être libre, c’est donc réaliser ces désirs sans entraves. Même si l’on devait faire un choix difficile, comme celui entre un ami et un chien, l’impulsivité nous pousserait à choisir sans hésiter notre chien, car il incarne une fidélité inconditionnelle.
Egalement, la thèse de Calliclès dans le texte de Platon, le Gorgias, suggère que la véritable liberté réside dans le fait de laisser libre cours à nos passions, même les plus puissantes, au lieu de les réprimer. Il soutient que ceux qui ont le pouvoir ou la capacité de satisfaire leurs désirs impulsifs sans entraves sont les véritables bénéficiaires de la vie facile et de l’intempérance. Cette perspective met en avant l’idée que la liberté réside dans l’impulsivité des désirs, en permettant à chacun de satisfaire ses passions sans contraintes.
Ainsi, dans un premier temps, il semble que la liberté puisse résider dans l’impulsivité, où l’absence de calcul de la raison ne semble pas entraver la réalisation de nos désirs, ni notre sensation de liberté. Cependant, nous devons examiner cette notion de liberté impulsive, car le simple fait de se sentir libre ne suffit pas à caractériser la véritable liberté. La «vraie liberté » dit Rousseau dans Les Lettres de la montagne n’est pas synonyme de simple indépendance. Il s’agit d’un état dans lequel on peut agir selon sa volonté, et non ses désirs, dans le cadre de lois justes, en respectant les droits et les libertés égaux des autres. Dans ce contexte, la liberté est indissociable de la justice et constitue le fondement sur lequel une société véritablement libre et juste peut être construite. Cette conception remet en question la compréhension commune de la liberté en tant qu’indépendance débridée impulsive et encourage une exploration plus profonde de la relation entre la liberté, la justice et le bien commun et en conscience. Nous pourrions acheter nos céréales préférées de manière impulsive dans un supermarché, mais cela ne garantirait pas nécessairement que nous sommes véritablement libres de le faire, car nous ne sommes peut-être pas conscients du processus publicitaire qui a influencé notre choix.
Ainsi, si l’on entend l’expression « être la marque de » la liberté dans le sens de « signifier », ou « définir » la liberté, il semble que la spontanéité, à elle seule, ne puisse épuiser tout le sens du mot de liberté. Pire la spontanéité semble même la réduire. Par contre si on entend le sens de « être la marque de » la liberté au sens où la spontanéité contiendrait « quelque sens » et non tout le sens de la liberté, on peut s’entendre sur le fait que cette spontanéité serait loin d’en épuiser la multitude de sens, ce qui légitimerait de penser à un sens plus large de cette liberté relatif à la raison et à la réflexion.
Garder pour soi un portefeuille que l’on a trouvé rempli d’argent, ne serait-ce pas aller contre la moralité et même une certaine humanité ? Ne trouverais-je pas plus d’estime après réflexion, en redonnant ce porte-monnaie à son propriétaire ? Et si, du point de vue de l’égoïste, la liberté est l’accomplissement de ses pulsions, n’en va-t-il pas autrement de l’homme raisonnable ? Tandis que pour l’homme égoïste, la liberté est l’accomplissement de ses désirs, pour l’homme raisonnable, le fait de suivre ses désirs est une prison pour sa volonté, la course effrénée vers nos désirs nous rendrait donc esclaves. Pourrions-nous en tant qu’égoïste se sentir réellement assouvis et sereins, et du point de vue de l’homme raisonnable, ne pourrions-nous pas être quelque peu libérés de notre corps toujours désireux ? Comme l’altruiste qui trouve sa liberté dans l’aide qu’il peut apporter aux autres, ne faut-il pas être guidé nous aussi par autre chose que notre envie personnelle ?
Socrate dans Gorgias dépeint la vie de dérèglement de Calliclès comme une vie où l’homme est constamment contraint de remplir des tonneaux percés jour et nuit, en s’infligeant les plus pénibles peines. Cette vie est chaotique, épuisante et soumise aux impulsions immédiates. Il critique ainsi l’idée de Calliclès selon laquelle la satisfaction immédiate des désirs est la voie du bonheur en proposant l’image d’une vie ordonnée, où les tonneaux sont en bon état et remplis de biens rares obtenus au prix de travaux pénibles. Cette vie est caractérisée par l’ordre, la prévoyance et le soin apporté à la satisfaction des désirs suggère que la vie ordonnée et tempérante est préférable à la vie de dérèglement, mettant en avant la liberté de la volonté pour choisir une vie meilleure préférable à une vie impulsive où l’homme est esclave de ses désirs. La liberté véritable réside dans la capacité de choisir délibérément la tempérance et la satisfaction bien réfléchie des désirs, plutôt que d’être dominé par des impulsions incontrôlées.
Ainsi, Socrate met en avant l’idée que la satisfaction des désirs à travers la tempérance et la maîtrise de soi est une forme plus élevée de liberté, où la volonté et l’esprit exercent un contrôle conscient sur les désirs, par opposition à une vie de dérèglement où les désirs sont incontrôlés et impulsifs.
Pourtant si nous reprenons la thèse de Kant dans l’Anthropologie, nous comprenons également que chaque individu ne peut affirmer avoir la pleine maîtrise de sa raison, car celle-ci peut coexister dans un même mouvement avec nos passions. La passions est une maladie qui agit comme l’eau d’une rivière souterraine qui creuse toujours plus profondément son lit. Nous n’avons pas conscience de l’ampleur de la ramification de nos désirs. Mais ce n’est pas parce que nous n’avons pas conscience de nos désirs que ceux-ci n’influencent pas notre volonté: cette dernière se trouve alors comme aveuglée et croit agir librement et impulsivement alors qu’elle est sous l’effet de désirs cachés. C’est le rapport de la cause à l’effet qu’il faut alors repenser. C’est le désir qui est premier, et la volonté ne fait que suivre et réaliser nos désirs. Nos raisonnements ne sont que l’effet de ces désirs qui tentent de se réaliser : nos raisonnements n’en sont que les moyens. Alors, trouver notre liberté dans l’impulsivité est une illusion de la raison, ce qui nous rend en réalité complètement esclave de nos désirs. Tout homme croit être libre alors qu’il est animé par ses passions et non par sa raison. Comment s’assurer d’être réellement libre. La liberté résiderait dans la maîtrise de soi, dans la réflexion, et non pas dans la superficialité de l’impulsivité. Et comment savoir que nous sommes dans la bonne réflexion pour nous maîtriser. La liberté n’est-elle pas le processus même de par lequel on se libère et non un état de fait ?
Ne serait-ce pas la maîtrise de nos impulsions qui feraient de nous des hommes et signerait par là la marque de notre liberté ? D’après Descartes dans Les passions de l’âme, ou de Malebranche dans La recherche de la vérité, savoir se contrôler, contrôler ses passions demande un travail, un détour à l’intérieur de soi et de son libre arbitre. Pour Descartes, apprendre à se connaître, à connaître ses passions, c’est commencer le travail de connaissance des effets qu’elles ont sur nous. Quand les passions sont stimulées autrement, notre véritable liberté consisterait à prendre conscience de leurs causes et de leurs effets car ce serait le seul moyen pour parvenir à les maîtriser et se démarquer de leur entreprise. Cependant, il faut avoir fait le choix, l’effort de rentrer en nous-mêmes. Pour Malebranche, la raison universelle est stimulée elle aussi par le même effort, elle est stimulée par la réflexion et le questionnement. Ainsi, accéder à cette maîtrise, ce savoir, cette liberté, sous-entend de se détacher du sensible et de l’impulsivité. Il faut donc se détacher de ce qui nous empêche d’être libre de la réflexion, du calcul de ce qui est bien ou mal, du calcul de l’entendement. Pour Malebranche comme pour Descartes, l’introspection permet de se libérer des tentacules du sensible, de l’emprise des pulsions du corps, et d’accéder à la liberté, ou de la spontanéité pour atteindre la sagesse.
Ne pas effectuer ce travail sur soi, c’est rester superficiel comme Platon le pensait dans le Phédon, car le corps peut contaminer la réflexion ou l’esprit. C’est donc en se détachant des contraintes du corps, de ses sensations, autrement dit de ce qui nous rattache aux facteurs extérieurs, que nous accédons à la liberté de voir comme il faut, c’est-à-dire selon notre entendement. Si nous réalisons cela, nous pourrons dénoncer les effets qu’ont sur nous les passions, mesurer les causes véritables, suivre le calcul de notre entendement, être libres et donc cheminer par un effort de la volonté vers la sagesse.
Le danger est que nos passions peuvent résider en même temps que nos raisonnements et les ensorceler même. L’effort est d’autant plus grand sur notre impulsivité que notre raison doit sans cesse trier ce qui semble mêlé. Dans la philosophie de Platon, la libération du corps se réalise principalement par la pratique de la philosophie elle-même. La réflexion philosophique permet à l’âme de s’élever au-dessus des préoccupations corporelles en cherchant les réalités abstraites et les vérités éternelles. C’est un processus intellectuel et spirituel qui exige la contemplation de ce qui est vrai, de ces réalités immuables et parfaites qui existent indépendamment du monde sensible. La liberté est alors une libération et le chemin par lequel on se libère se nomme la philosophie.
La liberté se manifeste par l’acte, par le refus, c’est elle qui distingue l’homme des animaux. Lorsque le corps tremble, l’âme refuse de fuir, quand le corps s’irrite, l’âme refuse de frapper. Ces refus sont des actes qui définissent l’homme en tant qu’être moral. La sainteté, la sagesse, et la force de refus, qui constituent l’âme, sont donc des exemples d’actions humaines, et non de simples états de fait.
Lorsque Alexandre Le Grand, en plein désert, reçoit un casque plein d’eau, il choisit de le verser par terre plutôt que de le boire, et ce, devant toute son armée. Ce geste peut être interprété comme un acte de magnanimité, c’est-à-dire une grande âme en action. Alexandre refuse de céder à son corps, à sa soif, et démontre ainsi sa force de refus. Il agit en accord avec sa propre conscience et sa volonté, affirmant ainsi son humanité et sa liberté.
Ce passage d’Alain dans les Définitions démontre que la liberté est un acte de refus conscient, et que l’âme se manifeste dans ces moments où l’homme refuse de céder aveuglément aux impulsions de son corps. La liberté n’est pas simplement un état, mais une action, un choix délibéré de dire « non » quand le corps pousse au « oui ». Ainsi, la liberté est un acte de résistance, de discernement, et de conscience, ce qui en fait un élément essentiel de la nature humaine.
La liberté n’est pas simplement un état donné, mais une action, une manifestation de la conscience et de la volonté humaine. Même si « le total refus » semble un idéal bien difficile à atteindre, lui seul seul est la marque de notre libre humanité : la liberté n’est pas un état mais une conquête que l’on se doit à soi-même.
Ainsi, nous avons conçu la liberté selon le principe premier et simple, qui est de faire ce que l’on désire, et la liberté résidait justement dans la puissance que l’on assigne à la puissance du corps et tout ce qui empêchait cette puissance de s’effectuer était alors conçu comme un obstacle à la liberté.
Puis, après réflexion, nous nous sommes rendus compte que cette liberté de mouvement résidait en nous tous, mais qu’elle ne permettait pas de nous libérer de nos pulsions. Nous étions, pour ainsi dire, esclaves de forces pulsionnelles.
Pour finir, nous avons abouti à la conclusion et à la conception finale de l’existence d’une liberté possible en tant que libération. Celle-ci est conditionnée par l’effectivité de notre entendement, de notre capacité à faire l’effort de rentrer en soi et de se délivrer de toute entreprise pulsionnelle afin que se produise l’élévation de l’esprit, par une dissociation du corps et de l’esprit. Le fait que l’on se demande si la liberté réside dans l’impulsivité présuppose qu’elle puisse aussi résister à cette impulsivité ou à nos pulsions et désirs.