Correction de la dissertation : « Qu’est-ce qui peut fonder l’accord des esprits? »

On proposera ici une correction « augmentée » avec des liens hypertextes sur lesquels on trouvera des explicitations conceptuelles en cliquant sur les liens.

On trouvera aussi plusieurs copies d’élèves à la suite de la correction.

 

Correction du Sujet : « Qu’est-ce qui peut fonder l’accord des esprits? »

 

 

Qu’est-ce qui peut fonder l’accord des esprits?

 

       Le monde interhumain, où « nous » désigne une communauté, le monde où nous vivons, est un lieu de violence. Il y a des différends, des divisions qui menacent les sociétés ; d’un certain côté, c’est le monde de la discorde. Mais c’est aussi celui où se signent des traités de paix, où une discussion est parfois possible. Par exemple, ici, le fait que « je » puisse dire « nous » montre bien que je postule un accord fondamental au-delà des opinions. Parfois, nous avons la chance de faire l’expérience d’un accord, mais « qu’est-ce qui peut fonder l’accord des esprits? »

         D’une part, pour s’accorder, il faut concevoir des points communs, un langage, un sens commun, une universalité des esprits qui s’accordent. D’autre part, ce qui caractérise les esprits, c’est la particularité, la détermination, la singularité. Alors, peut-on penser que c’est le particulier et les tendances égoïstes, et peut-être même les désaccords qui sont à l’origine, le vecteur de tout accord possible ?

         Il y a un problème, car nous ne faisons pas l’expérience immédiate de ce fondement, l’expérience de la discorde vient faire douter que cet accord soit plus fondé que cette discorde et pour le résoudre, il faudra partir de ces lieux d’accord, que nous avons caractérisés, et voir s’ils nous permettent d’assigner un fondement : dans un premier temps, nous partirons du langage commun, de la discussion, et tâcherons d’en trouver le fondement. Nous verrons que cela ne sera pas suffisant ; il faudra partir alors des expériences qui postulent ce « nous » : l’expérience esthétique, la moralité ; mais cela ne sera pas encore suffisant, le postulat de fondement ne pourra poser le fondement. Il faudra alors comprendre, enfin, le ressort de la société interhumaine et le rôle du désaccord.

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         Tout d’abord, à l’accord des esprits, on peut assigner une condition de possibilité. Pour qu’il y ait accord, il faut s’entendre, et s’entendre ici au double sens du mot (s’accorder et aussi avoir la possibilité de s’écouter). Pour s’entendre, cela présuppose au moins un langage commun à ceux qui s’accordent. Il faut que soit possible un contact non violent, qu’il y ait dialogue. Ceux qui n’ont pas Le langage commun sont exclus de l’accord, ils font « barbare » avec leurs bouches, on ne les entend pas. C’est ainsi que les Grecs excluent les non-Grecs. La violence est la seule façon d’établir le contact avec eux, car ils ne font pas partie des esprits qui s’accordent. Voilà donc une condition de possibilité de l’accord. La violence du discours peut jaillir entre gens du même langage, le langage ne fonde pas l’accord, il le rend simplement possible. Mais ce qui se détermine ici au moins, c’est le lieu possible de cet accord. Le lieu de l’accord, c’est la discussion, le dialogue, car le dialogue est la négation de la violence et l’instauration d’une relation duelle où l’accord peut advenir (écrit Eric Weil). dans l’introduction de la Logique de la philosophie p.21-27, où il répond à la question : pourquoi l’homme accepte-t-il le dialogue. Il l’accepte car la seule autre issue est la violence, quand on n’est pas du même avis il faut se mettre d’accord ou se battre jusqu’à ce que l’une des thèses disparaisse avec celui qui l’a défendue. Si l’on ne veut pas de cette seconde solution, il faut choisir la première.

            Ainsi, dans le dialogue, il semble possible de se mettre d’accord, mais qu’est-ce qui fonde cette possibilité de l’accord dialogique? Comment se met-on d’accord? Sur quoi le dialogue est-il fondé?

            Le fondement du dialogue comme possibilité de l’accord, cela semble clair, c’est finalement rien autre chose que la Raison : dialogue, c’est dia-logo. C’est dans l’hypothèse que l’on va pouvoir savoir qui a raison, que l’on dialogue et que l’on peut se convaincre. C’est donc la raison qui apparaît comme unique fondement possible de l’accord des esprits. On peut voir, pour appuyer cette thèse, un exemple de cette thèse dans les récits utopique du XVIIe siècle, dans «l’utopie» de Thomas More, ou dans «cité du soleil » de Campanella (ouvrages qui sont dans le livre de Pierre François Morreaux, «l’utopie», collection pratique théorique). Qu’est-ce qu’une utopie, c’est le prototype d’une société de l’accord des esprits. Qu’est-ce que cette société de l’accord, ce n’est rien d’autre qu’une société de la raison, une société d’hommes raisonnables. Dans l’utopie, la raison en l’homme renvoie à la raison entre les hommes. Dans l’utopie la raison règne.

            Que nous dit cet exemple des récits utopiques, qui décrit le modèle paradigmatique d’une société de l’accord? Il nous dit que c’est en tant que l’homme possède la raison, qu’il peut y avoir accord, le langage n’est condition de possibilité de l’accord qu’à condition qu’il soit langage raisonnable. Le fondement de la discussion est qu’elle est échange de raison, discours raisonnable entre gens raisonnables. Il n’y a pas de différence de raison entre les hommes, la raison n’est pas contradictoire, seule la différence en tant qu’elle fonde le différent est contradictoire et injustifiable. C’est là la conception Platonicienne, dans le début du Phèdre, en 230d. «Les cites et les arbres ne veulent rien m’enseigner mais seulement des hommes dans la ville». C’est la discussion, en tant qu’elle est fondée sur la raison, qui est le lieu de l’accord. L’homme se libère de sa simple particularité, il se ramène par là vers lui-même en tant qu’il est esprit et raison. Lorsque l’homme est entièrement «raison», comme dans les récits utopiques, l’accord est fait car seul le mal est contradictoire, le bien c’est la non-contradiction, c’est l’accord. L’homme raisonnable est dans le bien, dans l’accord des esprits.

            On comprend dès lors pourquoi la raison a pu être caractérisée comme le fondement de l’accord des esprits. Si la raison est fondement, c’est parce qu’elle dit le bien, le vrai, et que ceux-ci sont la non-contradiction absolue. Le fondement de l’accord en tant qu’union est l’unité du vrai, comme l’écrit d’ailleurs P. Ricoeur dans «Histoire et vérité» (Seuil, p.193) : «le vrai et l’un sont deux notions permutables, c’est le mensonge qui est légion, c’est l’erreur qui est plusieurs, nous attendons l’un en attendant le vrai, l’exigence la plus radicale de la raison c’est que l’ensemble de nos attitudes de leur méthode et de leurs objets constitue une totalité une».

            C’est la raison en tant qu’elle dit le vrai et le bien, et que ceux ci peuvent fonder l’accord, puisqu’ils sont le non-contradictoire. On voit qu’ici peut commencer la critique, cette unité du vrai, «nous attendons l’un en attendant le vrai», est simplement formelle. De fait, le vrai que nous connaissons est éclaté en plusieurs domaines de vérité, vérité de la foi, de la science, de l’éthique, domaines qui sont difficilement unifiables… Cette unité du vrai n’est donc pas donnée comme un fait, c’est simplement une exigence de la raison. Ceci nous amène à réfléchir sur ce que nous avons fait, en effet, on a définit le bien comme «non-contradiction», comme accord. D’une part, on peut dire que cela peut paraître un peu formel et un peu vide, mais là n’est pas le principal défaut. Le problème fondamental, c’est qu’on cherchait le fondement de l’accord des esprits, on disait que ce fondement était la raison, et lorsque nous commencions a expliciter ce concept de raison, l’explicitation était : la raison est l’accord des esprits, l’unité du vrai, c’est-à-dire le bien. On disait en fait, le fondement de l’accord des esprits, c’est l’accord des esprits. La tautologie semble évidente. D’où vient-elle?

            Elle vient du fait qu’on était en fait mal parti, puisqu’on avait débuté par le langage qui présuppose l’accord des esprits. Cela suppose que l’on s’était déjà mis d’accord pour écarter la violence, on devait donc finir par tourner en rond. Il faut donc trouver un nouveau point de départ si nous voulons savoir sur quoi peut se fonder l’accord des esprits, et qui soit en droit indépendant du langage, un nouveau lieu qui ne soit pas fondé sur une raison définie par l’accord lui-même.

 

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            Il faut donc, pour savoir ce qui peut fonder l’accord des esprits, partir d’un autre lieu de l’accord, un lieu antéprédicatif, infra-langagier de l’expérience de l’accord des esprits. Il faut trouver un accord avant même le langage, avant même la discussion. On pourrait peut-être trouver un exemple de ce type d’accord, dans le jugement de goût tel qu’il est examiné par Kant dans Critique de la faculté de juger, §18 à §22. Dans un jugement de goût, on pense que le beau, à la différence de l’agréable possède une relation nécessaire à la satisfaction. Nécessaire, cela signifie que lorsque nous émettons un jugement de goût, nous déclarons la nécessité de l’adhésion de tous au jugement par lequel nous disons que «c’est beau». Ce jugement énonce ce que Kant appelle une nécessité exemplaire §18 : «comme nécessité conçue dans un jugement esthétique, elle ne peut être appelée qu’exemplaire». C’est la nécessité de l’adhésion de tous à un jugement considéré comme un exemple universel énoncé. Dans le jugement de goût, on suppose que l’objet à propos duquel on dit «c’est beau», est beau en vertu d’une règle universelle.

            On voit que le jugement de goût pose au moins dans son principe l’accord des esprits. Pourquoi cet accord est-il sollicité et sur quel fondement peut-il reposer. Dans le jugement de goût, c’est l’adhésion de chacun qui est sollicitée, chacun devrait déclarer l’objet beau. On sollicite l’adhésion de chacun car on possède un principe qui est commun à tous. La possibilité du «nous», seul fondement possible de l’accord des esprits est un principe commun à tous. Quel est ce principe commun, c’est ce que Kant appelle, au paragraphe 20 de la Critique de la faculté de juger, le sens commun, qu’il définit par l’effet résultant du libre jeu des facultés de connaître. Le fondement possible d’un accord des esprits, c’est donc une conformité de ces esprits dans leurs facultés, dont témoignerait (en même temps qu’il fonde cet accord) le sens commun.

            Avec le sens commun on aurait trouvé ce qui peut fonder l’accord des esprits. Mais ne triomphons pas trop vite, car ici recommencent nos ennuis. En effet, au 21, Kant demande, «peut-on avec quelque fondement, présupposer un sens commun?», et la question est d’importance, car si notre fondement n’existe pas, nous n’aurons rien à fonder. Quelle réponse Kant va-t-il donner à cette question?

            Il répond que la raison pour laquelle nous sommes en droit de poser un sens commun, c’est que ce sens commun est la condition de la communicabilité universelle de notre connaissance. Et la communicabilité universelle d’un sentiment présupposant un sens commun, dit-il c’est avec raison que celui-ci pourra être admis sans que l’on s’appuie sur des observations psychologiques, comme la condition nécessaire de la communicabilité universelle de notre connaissance, qui doit être présumé en toute logique et en tout principe connaissance.

            Cette communicabilité universelle de notre connaissance doit être présumée en toute logique. Dans le cadre de la «Critique de la faculté de juger», il suffit à Kant, et il est en droit de s’en satisfaire. Mais dans le cadre de notre recherche, il est insatisfaisant, car ce serait dire : l’accord des esprits est fondé sur le sens commun, et la preuve de l’existence du sens commun, c’est qu’il peut être présupposé car il y a accord des esprits. Il y aurait là encore un cercle manifeste. Il n’y aurait pas ici de fondement pour l’accord des esprits. Quand bien même on admettrait que le sens commun ainsi entendu, c’est-à-dire la conformité des esprits, cela ne suffirait pas à fonder l’accord des esprits, car il est clair que cet accord n’est pas dans le jugement de goût, il est simplement postulé par celui-ci. Nous faisons toujours l’expérience de la discorde en matière esthétique, le sens commun donne peut-être le droit de postuler l’accord des esprits, mais ce n’est pas lui qui fonde cet accord. Il faut donc recommencer notre recherche. Le passage par le jugement esthétique n’aura pas été vain, en postulant l’accord des esprits, le jugement de goût fait signe vers la moralité. N’y aurait-il pas dans la moralité un lieu de l’accord qui permettrait de trouver un fondement de l’accord.

          L’avantage de la moralité sur le jugement de goût, c’est que nous pouvons constater l’accord des esprits sur ce qui est ou non moral, ce qui ressort du  jugement moral dans Les fondements de la métaphysique des moeurs. Kant ne vise pas à dire ce qu’est la moralité à des gens qui ne le savent pas, mais à élucider analytiquement la notion commune de la moralité, il le laisse entendre dans le canon de la raison pure (dans la critique de la raison pure) où il dit que ce qui serait inquiétant, c’est que se soit le philosophe qui sache ce qui est moral ou non. Il y a donc un accord de fait des esprits sur ce qu’est la moralité, section I de la métaphysique des moeurs; le truand sait bien ce qu’est la moralité même s’il ne la suit pas. D’où vient et sur quoi se fonde cet accord des esprits, sur ce qu’est la moralité, cela nous le sauront dans la section III de la métaphysique des moeurs. Cet accord des esprits est fondé sur le fait que tout homme est fin en soi, c’est-à-dire que l’accord est rendu possible par la position de l’homme qui est non seulement sensible (ce qui ne saurait faire l’accord), mais aussi intelligible.

            Donc, le fondement de l’accord des esprits, c’est leur appartenance commune au monde intelligible. Le monde intelligible est le lieu de l’accord, mais qui se manifeste parfois dans le monde sensible. Tout de suite on voit qu’il y a un problème, et on trouvera cet énoncé emblématique de ce problème dans une remarque de M. Ponty dans «Le visible et l’invisible» où il dit : «il n’y a pas de monde intelligible, il y a un monde sensible». Le «il y a» est souligné, c’est-à-dire nous ne faisons jamais l’expérience d’un monde intelligible, mais seulement celle d’un monde sensible. Le monde intelligible comme monde commun, (qui fonderait l’accord des esprits) n’existe pas, on ne peut en faire l’expérience, le monde intelligible est un postulat (et Kant le dit bien). Bien sûr, il y a le fait de ma liberté, qui me donne comme participant à un monde intelligible. Mais s’il y a bien quelque chose comme le sentiment de ma liberté, il n’y a pas le fait de notre liberté. Je peux expérimenter le monde intelligible comme mon monde, mais on ne peut pas l’expérimenter comme «notre» monde. Il n’y a pas la liberté d’autrui, la moralité n’est jamais qu’une expérience, et d’une expérience on n’est jamais sûr. Le monde intelligible n’est pas d’emblée un monde commun, l’appartenance n’est pas donnée mais postulée. Dès lors on aperçoit bien les deux inconvénients qui sont liés au fait de donner le monde intelligible comme fondement de l’accord des esprits.

            Il y a un problème à poser le fondement de l’accord des esprits sur quelque chose qu’on ne peut poser comme commun. Ensuite il  y a un problème à poser comme fondement ce qui est en vérité un postulat, qui ne pourrait être vérifié que si on avait l’expérience de l’accord des esprits, ce qui reviendrait à fonder le monde intelligible sur l’accord des esprits, et fonder l’accord des esprits sur le monde intelligible.

            Nous ne savons pas encore véritablement ce qui peut fonder l’accord des esprits. Mais n’est-ce pas parce que nous avons voulu aller trop vite vers l’accord, que nous avons voulu tout de suit pointer vers l’accord des esprits, vers cette «société des esprits» dont parle Leibniz dans La monadologie §82 et §83. Parce que nous avons voulu nous diriger vers ce qui fait leur communauté, pour lui c’était parce que c’étaient des monades, images de la divinité. Est-ce que notre erreur, celle qui nous a mené à tous ces cercles, n’est pas celle de vouloir s’éloigner de la particularité humaine, de la singularité de chaque esprit qui s’accorde. C’est de cette particularité qu’il nous faut maintenant partir pour comprendre ce qui peut fonder cet accord des esprits, dont nous faisons heureusement parfois l’expérience. ne serons portés à nous demander : est-ce le désaccord qui fonde la nécessité pour les esprits de s’accorder?

 

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            On partira donc ici avant même l’accord des esprits, on partira de la particularité, on prendra l’homme non pas d’emblée comme être raisonnable membre d’une communauté d’êtres raisonnables, ce qui est présupposer le problème déjà résolu, mais bien plutôt tel qu’il apparaît. Ni tout à fait raisonnable, ni tout à fait déraisonnable, simplement intelligent et animé par son intérêt propre.

            Pour répondre à la question de ce qui peut fonder l’accord des esprits, on prendra l’homme avec le double désir de posséder et de dominer. C’est le point de départ de la pensée d’un Bentham, Adam Smith, on s’apercevra alors que ce sont ces tendances égoïstes qui loin d’éclater la société, comme pourtant cela pourrait arriver, la font au contraire fonctionner. Que l’intérêt de l’humanité et de chaque homme, est d’une certaine façon le même. Il faudrait même aller plus loin et constater avec Kant dans «l’idée d’une histoire universelle» ceci : l’homme n’est pas d’emblée d’accord, au contraire, la première parole de l’homme est plutôt le «moi je» que le nous. L’homme résiste à l’accord, la société humaine est travaillée par toutes ces forces particulières, qui en dernière instance la font progresser. C’est de cette division première, de ce refus égoïste de l’accord des esprits que naît ce même accord des esprits. Avant de revenir à Kant, on peut même décrire la société humaine travaillée par les formes de la division, on peut la décrire de façon Hobbsienne, « la guerre de chacun contre tous » qui vient des passions de l’homme. Cette discorde absolue rend finalement obligatoire la constitution d’un accord des esprits, c’est à dire la loi, la société. C’est parce que la guerre est latente qu’il y a accord des esprits et que l’accord se maintient. L’accord des esprits est fondé en fait sur la discorde. Dès lors il n’y a pas d’autre fondement à l’accord que la discorde. Mais alors, que deviennent tous ces fondements que nous avions cru pouvoir poser, que deviennent les deux première parties. Le goût et la moralité, qui sont bien des expériences, dont il faut rendre compte, de quelle façon pourraient-ils provenir d’une discorde?

            Kant répond à cette question dans la quatrième proposition de l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique. Il développe le concept d’insociable sociabilité, de leur tendance à entrer en société, mais liée à une constante résistance qui menace sans cesse de faire éclater cette société. L’homme est décrit comme ayant toujours besoin de se particulariser poursuivant son intérêt propre, chaque homme est créateur de discorde. Or c’est cette résistance à rentrer en société qui éveille toutes les forces de l’homme à surmonter sa tendance à sa paresse et sous l’impulsion de l’ambition, de la soif de domination, à se tailler un rang parmi ses compagnons, dont il ne peut se passer. L’homme désire bien la particularité. C’est là précisément les premiers pas qui mènent de l’état brut à la culture, laquelle réside au fond dans la valeur sociale de l’homme. C’est de la naissance du conflit, de la naissance du besoin de se distinguer que naît la culture qui fait la valeur sociale de l’homme, c’est de la discorde que naissent les plus belles formes de l’accord des esprits, formes dont nous pouvons faire l’expérience. C’est alors, dit-il, que se développent tous ses talents, le goût, et que par une croissance des lumières, commence même à se fonder une façon de penser qui peut avec le temps transformer la grossière disposition naturelle au discernement moral en principe pratique déterminé, et finalement convertir en un tout moral un accord à la société pathologiquement extorqué. Cette expérience de l’accord, cette idée de «tout» moral, comment naît en l’homme le besoin de fonder une société morale, elle ne naît pas autrement que du sein de cette discorde, besoin de distinction qui pousse à la constitution d’une société.

            Ainsi c’est seulement la discorde qui peut fonder l’accord des esprits, c’est ce que Kant appelle un accord pathologiquement extorqué (bien malgré soi). Bien sur il y aura ensuite des fondement de droit à l’accord des esprits, et nous les avons distingué plus haut, le monde sensible commun le «sensus communis», le langage, la raison … Mais, et c’est ce que nous avons montré, ces fondements présupposent tous l’accord qu’ils sont sensés fonder. Pourquoi, parce que c’est l’accord qui est premier, et parce qu’il a lui même comme condition de possibilité, non ces fondements de droit mais un fondement de fait qui est la discorde des esprits, discorde qui se rend à elle-même intenable, et fonde ainsi en dernière instance l’accord des esprits.

 

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            Dans un premier temps, nous avons assigné au langage et à la raison le rôle d’un fondement possible des esprits. Mais le problème fondamental, c’est qu’en cherchant à expliciter ce concept de raison, l’explicitation était : la raison est l’accord des esprits, l’unité du vrai, c’est-à-dire le bien. On disait en fait, le fondement de l’accord des esprits, c’est l’accord des esprits. La tautologie était alors évidente et venait du fait qu’on était en fait mal parti, puisqu’on avait débuté par le langage qui présuppose l’accord des esprits : il présuppose que l’on s’était déjà mis d’accord pour écarter la violence. Nous avons donc cherché un nouveau point de départ pour fonder l’accord des esprits,  qui soit en droit indépendant du langage, un nouveau lieu infra-langagier.

            C’est alors que le jugement esthétique et le jugement moral nous sont apparus comme ces lieux possibles de l’accord. Mais là encore le jugement présupposait le sens commun et une communicabilité qui sont des formes d’accords, et le jugement moral reposant sur la commune appartenance au monde intelligible peut être mis en question : le monde intelligible comme monde commun, (qui fonderait l’accord des esprits) n’existe pas de fait, nous n’en faisons pas l’expérience.

            Enfin, nous avons du, pour lever le cercle, partir de la particularité et prendre l’homme non pas d’emblée comme être raisonnable membre d’une communauté d’êtres raisonnables, ce qui est présupposer le problème déjà résolu, mais bien plutôt tel qu’il apparaît. Ni tout à fait raisonnable, ni tout à fait déraisonnable. Nous avons marqué la nature égoïste de l’homme ainsi que son désir de posséder et de dominer. C’est de cette négativité, du travail du conflit, de la naissance du besoin de se distinguer que naît la culture qui fait la valeur sociale de l’homme, c’est de la discorde que naissent les plus belles formes de l’accord des esprits, formes dont nous pouvons faire l’expérience.

            Dès lors, le problème ne consiste pas dans le fait de trouver des moyens positifs qui pourraient fonder l’accord des esprits, mais il faut montrer comment, à partir du travail de la négativité de l’homme et en l’homme peut naître l’accord.

 

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Dissertation d’élève n°1 : CHAHAT Maéva

Dissertation d’élève n°2 : Marina PERIC

 

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Enfin voici un tableau des17 Notions du programme de philosophie pour saisir la correspondance avec ce qui est étudié dans le corrigé.