Pourquoi « Labo Philo »?
Labo Philo
mardi 8 septembre 2015
« Puis-je savoir que j’ai raison? » – Quelques éléments pour lancer la réflexion
Pour bien aborder ce sujet, il convient d’abord de distinguer très clairement dans notre esprit les deux expressions suivantes : « j’ai raison » et « je sais que j’ai raison ». Qu’apporte de plus le verbe « savoir » ? A quelqu’un qui nous dit qu’il a raison, on a envie de répondre : « évidemment, puisque c’est toi qui le dis ! » Il va de soi que nous n’affirmerions pas telle ou telle chose si nous ne pensions pas que nous avons raison en le disant. Il y a donc une forme d’entente initiale, préalable, avec soi-même qui prévaut dans toute prise de parole, dans toute prise de parti. Mais dire : « je sais que j’ai raison » signifie précisément que nous ne sommes plus simplement dans cette configuration. Ainsi, par exemple, ce moment où le bon élève en mathématiques va en cours en ayant correctement fait ses équations est particulièrement intéressant car il sait qu’il a raison alors même que le professeur ne lui a pas encore confirmé le bon résultat, mais il ne peut pas en être autrement, car les mathématiques sont une discipline exclusivement rationnelle, c’est-à-dire qu’elles consistent dans la rigueur absolue d’un enchaînement logique de propositions. Je peux donc « savoir » que j’ai raison quand l’objet que j’étudie ne se laisse pas relativiser par des questions de personne, par des caractères subjectifs. Les mathématiques ne réclament de celle ou celui qui les pratique que l’exercice de sa faculté de raisonner, de déduire les conséquences logiques d’un postulat ou d’un axiome (la différence entre le postulat et l’axiome tient dans le fait qu’un axiome ne se démontre pas alors que le postulat peut se prouver plus tard mais le mathématicien demande qu’on lui accorde telle ou telle proposition comme préalable). Je peux donc d’autant plus savoir que j’ai raison en mathématiques qu’il y a nécessairement (du moins dans tout ce qui n’est pas du domaine de la recherche mathématique ou travail sur les probabilités) une solution dans l’équation proposée et qu’elle est accessible à toute personne suivant logiquement le fil d’opérations qui se déduisent les unes des autres au gré d’une forme : « Si et Si…alors » (exemple : « si x est un homme et si tous les hommes sont mortels, alors x est mortel. »)
On pourrait dire que les mathématiques nous font évoluer dans une dimension où « rien ne peut arriver », en ce sens que ce que nous affirmons est nécessairement la suite logique de ce qui est posé au départ. Dans la réalité de nos vies, au contraire, tout peut arriver et je ne sais pas ce qui peut se produire dans la seconde suivante. Dans les mathématiques, tout est nécessaire, dans la vie, tout est contingent (ce terme, très important à retenir, désigne la qualité d’une chose, d’un événement ou d’un être qui aurait pu ne pas exister. C’est le contraire des mathématiques dans lesquelles tout ce qui est affirmé est nécessairement la suite logique de la proposition antécédente). C’est exactement ce que signifie la thèse d’Aristote selon laquelle « il n’y a de science que du général, d’existence que du particulier. »
lundi 7 septembre 2015
« Puis-je savoir que j’ai raison? »- Extrait de la deuxième méditation métaphysique de René Descartes (1641)
« Je m’efforcerai de suivre la même voie où j’étais entré hier, en m’éloignant de tout ce en quoi je pourrai imaginer le moindre doute, tout de même que si je connaissais que cela fût absolument faux ; et je continuerai toujours dans ce chemin, jusqu’à ce que j’aie rencontré quelque chose de certain, ou du moins, si je ne puis autre chose, jusqu’à ce que j’aie appris certainement, qu’il n’y a rien au monde de certain.
Archimède, pour tirer le globe terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, ne demandait rien qu’un point qui fût fixe et assuré. Ainsi j’aurai droit de concevoir de hautes espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable.
Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain.
Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis- je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps ; ne me suis- je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition: Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. Mais je ne connais pas encore assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis ; de sorte que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas imprudemment quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne me point méprendre dans cette connaissance, que je soutiens être plus certaine et plus évidente que toutes celles que j’ai eues auparavant. »
dimanche 6 septembre 2015
« Puis-je savoir que j’ai raison? » – Comprendre le sujet (travail de groupes)
- Qu’est-ce qui différencie l’affirmation: « j’ai raison » de celle-ci: « je sais que j’ai raison »? Qu’est-ce que cela nous fait comprendre sur la question posée ?
- Quels sont les différents sens de l’expression : « avoir raison » ? Reformulez le sujet selon ces différentes significations.
- Savoir que j’ai raison, n’est-ce pas d’abord douter que j’ai raison ? Qu’est-ce que la question du doute rajoute au problème posé ?
- Si cette question se pose, c’est qu’il est tout à fait possible de répondre : « oui » et de répondre « non ». Donnez un argument pour la réponse positive.
- Donnez un argument pour la réponse négative.
- Proposez plusieurs reformulations du sujet qui nous permettent de mieux le comprendre.
- Dans un dictionnaire philosophique, cherchez les définitions des termes : « Dogmatisme, scepticisme, expérience scientifique ». Faites le lien avec le sujet posé.
- Proposez plusieurs exemples de situations posant exactement la question du sujet.
jeudi 3 septembre 2015
Texte de Roland Barthes – Explication
La philosophie ne consiste pas à « donner son opinion ». Lorsque nous disons : « je suis pour ceci ou contre cela », nous croyons exprimer une pensée mais nous ne faisons qu’émettre un jugement qui vient probablement de l’influence de notre entourage et surtout qui ne marque aucun effort de réflexion sur le problème. C’est ce que veut dire Roland Barthes quand il affirme : « la vérité de mon rapport à l’événement n’est pas le jugement : « pour ou contre », « j’aime ou j’aime pas ». Si nous nous interrogeons en toute sincérité sur la plupart de nos prises de position, nous réalisons qu’elles sont le plus souvent guidées par les personnes qui nous sont proches ou par le groupe auquel nous voulons nous rallier, par l’image que nous voulons donner aux autres de nous-mêmes. Qu’on le veuille ou pas, nous sommes en constante représentation devant les autres, nous vivons avec une collection de masques qui changent en fonction de la nature de notre entourage : fils ou fille avec nos parents, copain ou copine avec nos amis, etc.
Finalement les occasions de se connaître soi-même sont plutôt rares, voire inexistantes. Roland Barthes illustre cette thèse avec l’exemple des relations Père/Fils. Tout « paternel » se dit qu’il a un rôle, une fonction d’éducation à assurer devant son fils et de nombreux fils répondent à cette « mission », à cette comédie en choisissant eux-mêmes un rôle d’opposant, de fils rebelle. C’est une pièce de théâtre mais malheureusement elle interdit l’authenticité d’un rapport simple entre deux êtres humains.
Faire de la philosophie est à la fois une libération et un effort. Il s’agit de se débarrasser de ces images, de parvenir à une pensée « neutre », sans opinion, sans représentation de soi à défendre, que nous affrontions la réalité telle qu’elle est. Elle ne se fait d’idée reçue sur rien, mais précisément, à cause de cela, elle réclame un effort parce que nous n’y sommes plus protégés par des images, des rôles, des fonctions sociales ou hiérarchiques.
EMC – Etude de texte
« L’idée selon laquelle un homme se doit d’être libre et de penser par lui-même est née à Athènes au 5e siècle avant Jésus-Christ. A cette époque et dans ce lieu existait, au cœur de la cité, une place nommée : « l’agora » sur laquelle tout homme était autorisé à prendre la parole et à se faire écouter par les autres. On insiste, à juste raison, sur tout ce que les pays dans lesquels s’exerce une authentique liberté d’expression doivent à cette époque, à ce lieu, à ces hommes. Mais on oublie parfois de préciser que ni les esclaves, ni les femmes, ni les étrangers à la cité n’étaient autorisés à parler sur l’agora.
Ce qui nous tient lieu d’agora aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux. Nous sommes passés d’un espace public, réglementé, localisé où les visages sont reconnus, à une plate forme cachée, virtuelle, individuelle et anonyme, ouverte à tous et sur laquelle la pression de la loi se fait plus ou moins forte. Ni les orateurs de l’Antiquité, ni les rédacteurs de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’avaient évidemment prévu de telles conditions de circulation de la parole et de la pensée de chacun au sein de la cité.
La seule chose qui assure le lien entre ces époques est le terme de « démocratie » (le pouvoir au peuple (demos)) mais il ne s’agit plus du même peuple. Ce qu’il nous reste à construire est donc une démocratie numérique au sein de laquelle la conception du « peuple » est à redéfinir. Peut-être les grecs n’étaient-ils pas allés jusqu’au bout de la notion de démocratie (puisque l’exercice de la libre parole était réservé à une certaine partie de la population), mais en même temps, il n’est pas du tout évident que les réseaux sociaux favorisent aujourd’hui l’activation d’une pensée qui soit vraiment la notre. Jamais, donc, nous n’avons été à la fois plus proches et plus éloignés de cet idéal : un peuple composé d’individus savants, libres, autonomes et pensant par eux-mêmes. »
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